lundi 4 mars 2013

POURQUOI LE SURNOM LES HABS?

Go Habs Go ! Les Habitants : plus qu'un surnom, une légende ! PAR ELISABETH LAFLAMME Printemps 2002... Les gradins du Centre Molson à Montréal sont pleins à craquer. Malgré une saison plutôt médiocre, le Canadien de Montréal a réussi une fois de plus à entrer en séries éliminatoires de la coupe Stanley pour la saison 2001- 2002, la quatre-vingt-douzième de son histoire. Il affronte ce soir à domicile l'équipe favorite pour cette rencontre, les Bruins de Boston. La foule majoritairement québécoise encourage son équipe avec énergie. Sur le tableau indicateur, on peut lire : « Go Habs Go ! Go Habs Go ! ». Partout on entend les partisans hurler cette unique phrase en cœur en espérant que leur enthousiasme insufflera la victoire à l'équipe. Dans la fébrilité du moment, personne ne se questionne sur cette expression dont l'origine se cache pourtant derrière une véritable légende. Alors, posons-nous la question : d'où vient cet emploi du surnom Habs ? M algré la multitude de disciplines sportives qui tentent de percer le marché du sport professionnel, les Québécois gardent une préférence marquée pour le hockey. Ce sport d'hiver fait partie de notre culture depuis près d'un siècle. Pratiqué presque exclusivement par les anglophones dès le milieu du XIXe siècle, le hockey commence à inté- resser les francophones seulement cinquante ans plus tard, soit à partir du dé- but du XXe siècle. L'engouement des Canadiens français pour ce sport est entre autres relié à la création d'équipes composées presque exclusivement de francophones1 . Pour la majorité des Québécois, le mot hockey rime essentiellement avec le Canadien de Montréal, la seule équipe québécoise de la Ligue nationale de hockey. Créée en décembre 1909 par J. Ambrose O'Brien, homme d'affaires important de l'industrie minière et déjà propriétaire à l'époque de trois équipes de l'Association nationale de hockey (le Renfrew, le Cobalt et le Haileybury)2 , elle est l'une des plus vieilles équipes de la LNH. Depuis sa fondation, le Canadien a pu compter dans son alignement certains des plus grands joueurs au monde. Georges Vézina, Toe Blake, Maurice Richard, Jean Béliveau, Guy Lafleur et, plus récemment, Patrick Roy, ont tous porté les couleurs de cette grande équipe et contribué à en faire un monument du hockey professionnel. Le Canadien de Montréal a remporté, au cours de son histoire, vingt-quatre coupes Stanley, un record pour la Ligue nationale. C'est certainement l'affection portée au club qui a contribué à l'apparition de surnoms aussi illustres que la Sainte-Flanelle, le Bleu-Blanc-Rouge, les Glorieux ou le Tricolore. Mais il en existe un autre, qui a cours depuis bien longtemps : Les Habitants ou The Habs. On s'est longtemps demandé d'où venait ce surnom bien spécial de Habitants : partisans, journalistes, mais aussi chercheurs et auteurs, ont longuement spéculé sur son origine. De leurs questionnements sont nées de nombreuses histoires et interprétations. Mais qu'en est-il réellement ? Un mythe qui a la vie dure L'histoire la plus véhiculée à propos de l'origine du surnom remonte à plus de soixante-quinze ans, et elle aurait pris naissance aux États-Unis. On la diffuse non seulement dans certains ouvrages sur l'histoire du Canadien, mais même sur le site Internet officiel du Canadien de Montréal : « Contrairement à une vieille lé- gende, le "H" du logo officiel du Canadien ne signifie pas "Habitants" mais "hockey" comme dans Club de hockey Canadien. La légende a pris naissance en 1924 quand le propriétaire du Madison Square Garden (New York) Tex Rickard s'était fait dire que le fameux "H" représentait les francophones du Québec qu'on désignait alors comme les Habitants. Le surnom tient depuis3 ». S'il est avéré que la lettre H du logo représente bel et bien l'abréviation de hockey, il est impossible que l'anecdote concernant Tex Rickard soit à l'origine du surnom Habitants, qui sert à désigner le Canadien de Montréal. En effet, quelques recherches dans les journaux de la première moitié du XXe siècle nous ont permis de découvrir que ce surnom avait cours dès 1914, date à laquelle il est attesté pour la première fois dans plusieurs articles du Devoir relatant les exploits du Canadien : « Ontario continue à se porter à l'attaque et Vézina bloque avec succès plusieurs lancés [sic] de Vair, [...] le Canadien reprend bientôt l'avantage et Hébert à son tour se voit forcé de défendre ses buts car "Jack" Laviolette multiplie ses courses furibondes et toute l'attaque des "Habitants" semble décidée, coûte que coûte à remporter la victoire. La période se termine avec [le] Canadien à l'attaque4 ». Cet extrait nous permet de prouver deux choses : d'abord, que le surnom avait cours au moins dix ans avant l'avènement de la légende reliée à Tex Rickard ; ensuite, qu'il fait son apparition deux ans avant qu'on ne crée le logo CH qui apparaît en 1916 sur le chandail du Canadien. Le surnom est donc plus ancien que le logo. Ces deux éléments suffisent pour démontrer qu'on ne distingue pas toujours bien histoire et légende lorsqu'il s'agit de mettre en lumière certains événements du passé. Par ailleurs, d'autres chercheurs ont affirmé que le surnom Habitants aurait été attribué au Canadien par les anglophones. On sait, en effet, que les Canadiens anglais ont utilisé le mot habitant pour désigner les Canadiens français, plus particulièrement ceux de classe économique inférieure, et sans référence à leur occupation5 . Mais certains faits nous amènent à remettre en question cette explication. En effet, bien qu'on retrouve le surnom Habitants pour désigner l'équipe de hockey dans les journaux francophones dès 1914, comme nous l'avons déjà dit, ce n'est qu'à partir de 1923 qu'on le relève régulièrement dans les quotidiens de langue anglaise. Si le surnom était d'origine anglaise comme le croient ces auteurs, on pourrait espérer retrouver Habitants dans les journaux anglais bien avant d'en trouver la trace dans la presse francophone. C'est pourquoi cette hypothèse n'est pas recevable. Une équipe vient au monde C'est en faisant un petit historique de la création du Canadien de Montréal que l'on peut facilement comprendre plusieurs éléments rattachés à la signification de leur légendaire surnom les Habitants. Ce dernier avait probablement à l'époque une dimension identitaire. Celle-ci est d'ailleurs à la base même de l'existence de l'équipe. L'histoire nous démontre que les sports d'équipe au Canada étaient autrefois pratiqués presque exclusivement par les Anglo-Saxons. En effet, les sports amateurs et professionnels ont fait leur apparition au Québec avec l'arrivée des immigrants en provenance des îles britanniques au cours des XVIIIe et XIXe siècles. C'est donc dans le milieu anglophone que le sport professionnel a pu se développer et prendre toute son expansion. Or, les francophones, pour leur part, s'identifiaient plutôt à des activités physiques traditionnelles d'origine rurale, mettant l'accent sur la force physique de l'individu. Ainsi les démonstrations d'hommes forts attiraient plus les Canadiens français que les parties de crosse ou de baseball : « Sauf exception les héros nationaux des Canadiens français du XIXe siècle ne sont pas des champions sportifs, mais des hommes forts. [...] À la fin du siècle ce sont les Louis Cyr, Horace Barré, Henri Cloutier, Davis Michaud, etc., qui représentent l'idéal de l'homme canadien-français issu de la Nouvelle-France6 ». La plus grande partie de la population qué- bécoise étant d'origine francophone et peu enflammée par le sport professionnel, un marché important de partisans potentiels, par conséquent, n'était pas exploité. Les dirigeants des différentes ligues (tous des anglophones) vont donc chercher à intéresser ce bassin de population au sport professionnel dans le but de réaliser d'importants profits7 . La rivalité entre les anglophones et les francophones était extrêmement importante à cette époque et l'on savait qu'il serait difficile d'intéresser ces derniers à des activités où l'on retrouvait presque exclusivement des anglophones. C'est pourquoi on eut l'idée de créer une équipe de hockey composée uniquement de Canadiens français pour arriver à attiret les francophones dans les arenas. Malgré le travail de recrutement effectué par les dirigeants, on devra tout de même engager quelques joueurs anglophones parmi les Canadiens français afin de compléter l'équipe8 . Cette situation est peut-être due, à l'époque, à un manque de joueurs canadiens-français disponibles sur le marché du sport professionnel. On réussit tout de même à former une équipe majoritairement francophone et on choisit un nom tout à fait représentatif pour cette nouvelle équipe : Le Canadien (à cette époque, le mot canadien ne représente que les Canadiens français)9 . Un fait intéressant vient d'ailleurs appuyer l'hypothèse du rôle joué par la dimension identitaire dans l'attribution du surnom Habitants. Nous avons appris que le club de hockey n'est pas la seule équipe sportive francophone à portet le surnom Habitants au début du siècle. En effet, avant lui, l'équipe de crosse le National a porté ce surnom dès 1912 : « Le National ne veut plus perdre de partie. L'équipe canadiennefrançaise se dit de taille à vaincre tous ses adversaires. [...] Il est vrai que les "Habitants" est [sic] vaincu lesBleachers, samedi dernier...10 ». Comme pour le Canadien, cette équipe était composée presque exclusivement de Canadiens français, ce qui vient appuyet l'hypothèse de l'importance de la dimension identitaire dans l'attribution de surnoms rattachés à toute équipe sportive. Trois importants joueurs du nadien, Edouard «Newsy »Lalonde, Jack Laviolette et Didier Pitre", faisaient aussi partie durant l'été de l'équipe de crosse le National. La présence des mêmes joueurs canadiens-français dans l'équipe de crosse et au hockey peut expliquer l'attribution du même surnom à des équipes évoluant dans des disciplines totalement différentes. Le Canadien de Montréal dispute son premier match le 5 janvier 1910 contre le Cobalt — équipe qui n'existe plus de nos jours — et remporte sa première victoire. Malheureusement, cette première partie ne sera pas représentative de la saison puisque le Canadien finira en dernière position de la ligue pour la saison 1909- 191012 . Mais petit à petit, l'équipe canadienne-française gagnera les faveurs des spectateurs francophones et elle fait encore aujourd'hui la fierté de ses partisans. Pourquoi les Habitants ? Pour les Québécois d'aujourd'hui, le mot habitant n'a pas une connotation très positive. En effet, il désigne un être rustre, grossier, sans éducation ni savoirvivre. Se faire traiter d'habitant, n'est pas, entre nous, un compliment très apprécié. Alors pourquoi avoir choisi ce mot pour désigner une équipe sportive aussi importante pour une population que pouvait l'être le Canadien à cette époque ? Tout simplement parce qu'au début du siècle, le mot habitant n'avait pas du tout la même signification que celle qu'on lui attribue aujourd'hui. En effet, ce mot servait jadis à désigner le cultivateur et avait une connotation tout à fait positive au sein de la collectivité québécoise, majoritairement rurale. En 1900, 60% de la population du Québec vit à la campagne du fruit de la terre et il s'agit presque exclusivement de francophones". Malgré une urbanisation et une industrialisation rapides à la fin du XIX' et au début du XXe siècle, le mot habitant reste toujours un terme très positif. Le courant régionaliste qui domine la littérature québécoise de 1846 à 1945 et qui prône l'agriculture comme mode de vie idéal rend — à travers sa production littéraire — un grand hommage au cultivateur canadien-fran- çais. Les auteurs présentent l'habitant comme un bon chrétien, gardien des traditions, de la langue et de la foi. Pour eux, il s'agit d'un homme libre, travailleur, fort et robuste14 . Cette image convient parfaitement à une équipe sportive qui fait l'orgueil de sa patrie et que l'on veut victorieuse. Habitants devient Habs A partir de 1914, on retrouve très fré- quemment Habitants dans la presse francophone. Puis c'est au tour des anglophones d'adopter ce surnom dès 1923 : « An opening period marked by excellent hockey and hard shooting, in which Canadiens had a fair margin, gave way to the last two periods when St. Patrick's crumbled under the pace and the aggressive Habitants sent the score soaring15 ». De Habitants naît l'abréviation Habs dans la presse de langue anglaise à partir des années 1940. Celle-ci a vraisemblablement été créée par les Canadiens anglais puisqu'on ne la relève dans aucun hebdomadaire francophone. Elle devient rapidement usuelle sous la plume des journalistes anglophones : « Montrealers catching Habs fevet. [...] The Montreal Canadiens are peaking in the playoffs and some fans of hockey's most storied franchise dared to dream yesterday of a 25th Stanley Cup. [...] For the playoff-starved Habs faithful, the 2-1 win over the Bruins was much more than just a decisive victory over a bitter rival16 ». Aujourd'hui, le surnom Habitants a presque complètement disparu pour laisser la place à ceux de Tricolore et de BleuBlanc-Rouge (d'après les trois couleurs caractéristiques du chandail de l'équipe). Seule la variante Habs a subsisté, tout particulièrement dans la formule d'encouragement Go Habs Go ! Certains auteurs utilisent encore parfois Habitants avec une valeur stylistique, mais de façon très sporadique, comme on l'a lu récemment chez Claude Jasmin dans un article où il critiquait le sport professionnel : « Le sportspectacle ? Non. Pas d'intérêt. À part nos Habitants du Forum luttant ferme pour la coupe Stanley, l'ignorance totale, mon vieux !" ». En utilisant ce surnom, Jasmin met l'accent sur l'émotivité qui se dégage des souvenirs des années glorieuses du Canadien. L'auteur nous permet de comprendre tout l'attachement et la fierté qu'ont les partisans pour l'équipe canadienne-française. Peut-être l'emploi péjoratif du mot habitant que nous connaissons aujourd'hui at-il contribué au retrait presque total de ce surnom de la bouche des partisans et des journalistes sportifs. Les plus jeunes amateurs ignorent même bien souvent la signification de l'abréviation Habs. Mais que le surnom les Habitants tombe peu à peu dans l'oubli importe peu, puisque, malgré tout, le Canadien de Montréal gardera toujours une place importante dans le cœur des Québécois. Basé sur la documentation du Trésor de la langue française au Québec (CIRAL, Université Laval)

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